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Serge André Yourevitch Verebrussoff de Beketch – né le 12 décembre 1946 à Tours et décédé le 6 octobre 2007 à Clichy – était un journaliste et scénariste de bande dessinée français. Il fut en particulier co-fondateur et animateur de Radio Courtoisie, ainsi que fondateur du « Libre Journal de la France Courtoise ».

Philippe Randa lui avait consacré un chapitre de son livre « Ils ont fait la guerre : les écrivains guerrier : Fils et deux fois petit-fils de guerrier », ainsi que sa chronique hebdomadaire du 10 octobre 2007 : « Un albatros s’en est allé ».

Fils et deux fois petit-fils de guerrier

Si quelqu’un a une lourde hérédité guerrière, c’est bien Serge de Beketch : être le petit-fils d’un officier supérieur français qui gagna ses galons en pourfendant les Prussiens dans les tranchées de Verdun et celui de l’aide de camp du général Denikine qui combattit les bolcheviques dans les steppes Russes… en même temps que le fils d’un légionnaire qui « tomba » à Diên Diên Phu, et d’une manipulatrice radio de l’armée de l’air, n’est assurément pas chose courante.

Né en 1893, Wladimir de Beketch, passé par le Corps des cadets – pages impériaux ; correspond au lycée français de « La Flèche » – se retrouve, à la révolution bolchevique, aide de camp du général Denikine. Spécialiste des chars, il est un des premiers à obtenir la médaille de Saint-Georges pour avoir détruit trois blindés ennemis. Promu « officier du génie », il fait construire des ponts et creuser des galeries sous les lignes ennemies dans le but d’aller y poser des bombes.

Un des tous premiers à être décoré de la médaille de Saint-Georges !

– Ne sachant pas nager, mais devant surveiller les travaux d’établissement d’un pont, mon grand-père se laissait porter sur l’eau par des vessies de porc gonflées. Bien entendu, les Rouges tiraient sur lui depuis la rive opposée et il craignait plus qu’une balle ne crève ses bouées que d’être lui-même directement touché.

En 1920, replié avec ses hommes dans le port d’Odessa, seul endroit à ne pas encore être occupé par les Rouges, Wladimir de Beketch découvre dans un hangar une superbe limousine. N’étant pas un modèle de prudence, il décide aussitôt, malgré l’encerclement ennemi, de partir faire le tour de la ville avec son chauffeur, fanion tsariste en tête. Il doit y avoir un Dieu pour les fous ou les inconscients, puisque les Rouges le laisseront passer et repasser lui présentant même les armes. Ils le prenaient sans doute pour un plénipotentiaire.

– À Odessa, la maison de famille est cette formidable propriété qui borde le côté est des escaliers de la ville et sur lequel on voit dévaler une voiture d’enfant, dans le célèbre film Potemkine, d’Eisenstein. Sous les Rouges, elle était devenue la maison des pionniers. La salle de bal a été transformée en piscine.

Quelques jours après l’épisode de la limousine, Wladimir de Beketch réussit à faire évacuer ses hommes grâce à un bateau anglais qui livrait des motos.

– Mon grand-père fit jeter les motos à la mer pour pouvoir embarquer ses soldats. Ils furent tout d’abord remorqués par un batiment britannique qui s’était proposé de les sortir de la Mer Noire. Seulement, arrivé au beau milieu de celle-ci, les britanniques reçurent l’ordre de ne plus intervenir dans la guerre civile russe.

Le commandant de sa Gracieuse Majesté brise aussitôt les amarres et les Blancs n’ont plus d’autre solution que de se laisser porter par les courants. Ils débarquent finalement en Roumanie, du côté de Constanza.

Avec sa femme, la princesse Verebrussova, Wladimir part à pied vers la France. Chemin faisant, leur fils Youri voit le jour en 1922 à Pancevo (Yougoslavie).

En France, où elle arrive l’année suivante, la famille s’installe à Tours où Wladimir travaille dans une usine de Saint-Pierre-des-Corps. Membre fondateur du NTS, il est intégré en 1939 dans l’armée française avec le grade de capitaine. Sa carrière militaire prend fin lorsqu’il est grièvement blessé par une bombe qui l’ensevelira sous plusieurs tonnes de gravats.

Trois fois évadés, trois fois repris…

Son fils Youri, comme tout bon fils d’immigré russe, fait ses premières armes à l’école des Cadets, cette école impériale russe reconstituée en France. Il effectue ensuite son service militaire dans les Spahis. Arrive 1940 et les chars de Guderian. Fait prisonnier, Youri est libéré, mais bientôt envoyé en Allemagne au titre du STO.

– Mon père s’évadera et sera repris à trois reprises. Il finira en forteresse. La correspondance entre mes parents est assez étonnante en ce sens que mon père parlait de son existence de prisonnier et que mon mère lui répondait en lui racontant sa vie parisienne.

De retour de captivité, Youri reprend des études de médecine. En 1949, il devient à Lodève directeur d’une des toutes premières maisons pour handicapés. Quelques temps plus tard, il part à Marseille pour acheter un cabinet médical.

– Et nous ne l’avons plus revu, explique son fils. Sans doute déçu par sa vie civile, manquant des fonds nécessaires à l’achat du cabinet médical convoité, mon père s’est engagé à la Légion, sous son véritable patronyme, mais en tant qu’apatride, et a été envoyé à Sidi-

Bel-Abbès. Nous sommes restés sans nouvelles de lui jusqu’à la parution en 1950 d’un numéro de Paris-Match qui publia la photo de plusieurs nouveaux engagés dans la Légion. Parmi eux, ma grand-mère l’identifia tout de suite et avec certitude. D’ailleurs, elle avait toujours été persuadé qu’il était devenu légionnaire.

En 1950, Youri a une permission libérable. Il revient à Paris pour retrouver sa famille, mais celle-ci a déménagé sans laisser d’adresse. Youri se rengage alors pour cinq ans à la Légion et saute le 24 mars 1954 sur Diên Biên Phu.

– Un des amis de mon père, que je n’ai rencontré qu’en 1977, m’a confié ce qu’il lui avait déclaré à cette époque : « Écoute, je me suis porté volontaire pour Dien. Je ne vais pas en revenir, je le sais. Il faudra que tu ailles voir ma famille. J’ai deux fils (il était parti avant la naissance de son second enfant, mais les Beketch n’avaient toujours eu que des enfants mâles) et tu leurs dira que je me suis battu contre les communistes ». Mon père était obsédé par la lutte contre les Rouges.

Dans la nuit du 19 avril, cet ami de mon père a été réveillé par le hurlement effroyable du chat noir, mascotte de mon père. Il sortit de sa tente et trouva l’animal décapité. Terriblement choqué, il se précipita dans le poste-radio pour obliger l’homme de garde à appeler Diên Biên Phu et à demander des nouvelles du sergent Beketch. On lui a immédiatement confirmé que ce dernier venait tout juste d’être tué par un éclat de mortier qui lui avait arraché la tête.

Si Serge n’a connu les circonstances de la mort de son père qu’en 1977, toute sa famille avait appris l’événement le jour même.

– Nous étions tous, ma grand-mère, ma mère, mon frère et moi dans la salle-à-manger en train de dîner, quand, soudain, le cadre posé sur le buffet et qui contenait la photo de mon père a basculé. Ma grand-mère s’est aussitôt dressée en déclarant : « Youri est mort ! » Puis elle a ajouté : « D’ailleurs, je le savais : depuis quelques temps, je fais toujours le même rêve ». Mon père est assis dans son fauteuil, les bras tendus et me dit : « Merci de m’avoir envoyé Youri ! » Dans les jours qui suivirent, ma grand-mère a adopté un petit chat noir, baptisé « Mourzik » (diablotin) qui était le surnom donné dans son enfance à Youri et elle nous répétait sans cesse, à mon frère et à moi : « Ce chat, c’est votre père réincarné ! »

Un ancêtre, ministre de Jules Ferry…

Côté maternel, Serge de Beketch compte également des guerriers. Son grand-père Pierre Higell, dont la famille a fuit l’Alsace en 1871, sera nommé officier au feu en 1916 pendant la bataille de Verdun où toute son unité a été décimée.

Responsable du ravitaillement en pommes de terre pendant l’Occupation, il est arrêté à la fin de la guerre et aussitôt libéré. Il avait créé un réseau. Gaulliste convaincu, il mourra en disant de Serge, alors rédacteur en chef de Minute : « Je ne comprendrais jamais que mon petit-fils soit rédacteur en chef d’un journal de gauche ».

Quant à l’oncle de Pierre Higell, il s’agit ni plus ni moins que du célèbre amiral Cloué (dont une rue de Paris porte le nom), ministre de la Marine de Jules Ferry, qui s’est caractérisé par son anglophobie et qui fut privé de son portefeuille comme « complice de la Réaction ».

L’école des fils de tués de l’Armée de l’Air

Fils de Youri de Beketch, un sergent, et de Jacqueline Higell, un capitaine, Serge se retrouvera tout naturellement placé à l’école militaire des pupilles de l’Air à Grenoble.

– Les puristes diront que ce n’était pas une école militaire, car elle était réservée aux orphelins et n’exigeait donc aucun engagement volontaire des élèves. Seulement, nous avions une fanfare, recevions une véritable préparation militaire et portions des uniformes. Ces derniers étaient plutôt marrants : blouson et pantalon de golf en drap bleu, béret, chemise blanche, mi-bas et chaussettes blancs. C’était quasiment l’uniforme de « Jeunesse et Montagne ». Quant à la discipline, elle était réelle et n’avait rien à envier à l’autre.

Serge de Beketch entre dans cette école de « fils de tués de l’Armée » à dix ans et en sort sept ans plus tard. Il garde un excellent souvenir de cette période. Parmi les gens qui ont fréquenté le même bahut, citons le comédien Christian Barbier et Jean Sarrus, l’un des charlots.

– Au moment de l’OAS, on a eu dans la même classe le fils de l’assassin présumé et celui de la victime, le commandant Poste.

Parmi nos professeurs, il y avait Delrieux, l’ancien mitrailleur français de la RAF et Poncet, père du navigateur qui, avec Janichon, a cherché le passage nord-ouest.

Après avoir quitté cette école, Serge de Beketch fera divers métiers avant de trouver sa voie dans le journalisme, tour à tour rédacteur en chef de Minute et de National Hebdo avant de fonder le décadaire Le Libre Journal de la France Courtoise tout en animant chaque semaine une émission sur Radio Courtoisie. On le voit, si la vie lui a fait choisir la plume plutôt que le fusil d’assaut, la cible des Beketch reste la même.

Un albatros s’en est allé

C’est un dernier témoin d’une époque désormais révolue. Une époque que les enfants du XXIe siècle n’ont forcément pas connue. Une époque de sombre traversée de désert politique pour les nationalistes français, puis de renaissance sur fond de diabolisation ; une époque où la presse ressemblait encore plus ou moins à ce qu’elle avait été depuis sa création, avant la révolution internet… C’étaient les années post-68 ! Avec le terrorisme intellectuel de la gauche, l’exhibition (plus que la libération) sexuelle, les chocs pétroliers, l’immigration incontrôlée rapidement devenue incontrôlable et l’apparition de ces longues durées de chômage dont certains de se relèvent plus… C’étaient les années Giscard, les années Mitterrand, les années Chirac, les années de ceux qui ont le souvenir nostalgique de leur vingt et quelques années…

Ce témoin, c’était Serge de Beketch, emporté voilà quatre jours par ce qu’il est convenu d’appeler les suites d’une terrible maladie.

Je laisse à d’autres le soin de vanter ses qualités forcément inestimables autant qu’innombrables. La mort a au moins cet avantage qu’on vous pare subitement de toutes les qualités qu’il n’était pas question de vous reconnaître de votre vivant. On y passe tout autant sous silence vos défauts. La convenance l’exige, paraît-il. Paix aux cendres chaudes.

Mais la convenance est-elle vraiment de mise avec Serge de Beketch qui, toute sa vie durant, s’en est allègrement moqué, au grand dam de ses amis encore plus que de ses ennemis ?

Déjà, il avait une lourde hérédité qui ne le faisait pas bien voir des grands démocrates de progrès, qu’ils soient estampillés socialistes ou communistes : petit-fils de l’aide-de-camp du général Denikine, chef des armées blanches en Russie impériale et fils d’un sous-officier de légion étrangère « mort pour la France » à la bataille de Dien Bien Phu, comment voulez-vous qu’il portât plus que ça les gens de gauche dans son cœur ? Aujourd’hui que le communisme n’est plus grand chose, on peut dire de celui-ci du mal sans trop de danger. Les gens de droite ne s’en gênent pas. Mais durant les années giscardo-mitterando-chiraquiennes, il n’était guère conseillé de s’y risquer.

Serge de Beketch se jeta dans le politiquement incorrect avec une allégresse frôlant, il faut bien le dire, la folie pure : pilier de l’hebdomadaire Minute où il entra comme pigiste avant d’en être propulsé un quart de siècle plus tard son directeur de la rédaction après avoir dirigé entre temps celle de National Hebdo, autre hebdomadaire, encore plus exécré des bien-pensants.

Puis, jugé par trop de monde « incontrôlable », il avait créé ce Libre Journal de la France courtoise qui paraît tous les dix jours depuis maintenant presque quinze ans… six ans après avoir co-fondé avec Jean Ferré Radio Courtoisie où il y animait une émission toutes les semaines.

Et dire qu’il se définissait volontiers comme un paresseux congénital – je crois bien qu’il ne plaisantait pas et qu’il en était sincèrement persuadé – tandis que les vrais travailleurs se reconnaissent aujourd’hui plutôt cramponnés à leurs avantages acquis et aux 35 heures de madame Aubry.

Ami déclaré de Jean-Marie Le Pen, on ne se gêna pas pour lui faire porter l’étoile jaune la plus infâmante qui soit depuis un demi-siècle: celle de l’antisémite furieux… oubliant toutefois qu’il s’était engagé en 1967 dans Tsahal à l’occasion de la Guerre des six jours et qu’il fut le co-fondateur quelques années plus tard du Cercle d’amitié française juive et chrétienne (avec Bernard Antony, Alain Sanders, Jean-Pierre Cohen et Pierre Semour).

Il fut également franc-maçon et ne s’en cacha jamais, surtout après avoir rompu assez brutalement avec les obédiences qui l’avaient si profondément déçu. Depuis, il n’était guère tendre envers les frères trois points. Au moins avait-il approché de près le Grand Architecte de l’Univers autrement qu’à la lecture de quelques livres de fantasmes aussi obsolètes que maniaquo-complotistes… Ça ne l’empêcha pas, toutefois, de conserver nombre d’amis maçons, à tel point qu’on aurait pu parfois se demander non pas qui était frère dans son entourage… mais qui ne l’était pas. J’exagère ? Sans doute, mais ça l’aurait bien fait rire et il était vraiment trop mal placé pour reprocher à qui que ce soit d’exagérer.

Car Serge de Beketch exagérait, il faut bien le dire quand même ! En tout ! En journalisme, en politique, en religion, mais encore plus, peut-être, en amitié. Ça lui donnait un côté Don Quichotte, un peu maladroit, gaffeur, irritant autant que touchant, bref un côté albatros, vous savez ce vaste oiseau des mers auquel Charles Baudelaire a consacré un de ces plus beaux poèmes.

C’est que Serge, en fait, et pour tout vous avouer, était bien semblable au prince des nuées ; il hantait la bêtise et se riait des juges… Il s’en était retrouvé forcément exilé au milieu des huées de la bien-pensance… sauf que lui, ses ailes de géant, personne n’était parvenu à les couper !

In memoriam
Philippe Randa